Une des choses que l’on entend le plus à propos de la vie après le cancer, c’est qu’on ne redevient pas la même personne qu’avant. Il n’y a pas de retour à la « normale ». On finit par adopter une « nouvelle normalité » qui trouve son sens dans ce qui s’apparente à un étrange au-delà. Bien des gens constatent que plus rien n’est pareil.
En ce qui me concerne, le cancer a changé tous les aspects de ma vie. Il a changé mon travail, mes relations et m’a fait réaliser que je ne suis pas invincible. Mais une des choses qui a le plus dramatiquement changé, c’est comment je me sens dans mon corps et comment je le perçois. J’ai dû rebâtir complètement cette dimension de ma relation avec moi-même.
Les traitements contre le cancer vous dépossèdent complètement de votre corps. Même si le traitement m’a sauvé la vie, j’ai été coupée (chirurgie), empoisonnée (chimio) et brûlée (radiothérapie). À cause d’une petite tumeur tenace qui s’est installée dans mon sein droit, mon corps a subi des changements que je n’aurais jamais pu imaginer…
Au cours de mon traitement actif, qui a duré 10 mois, j’ai perdu mon sein droit et je suis demeurée « plate » pendant les 18 mois qui ont suivi.
J’ai perdu mes cheveux et développé une fatigue chronique.
La chimio a fait chuter mes sourcils, qui n’ont jamais repoussé depuis.
Les chirurgies réalisées pour enlever ma tumeur ainsi que celles que j’ai subies pour réparer les dommages résultants m’ont laissée couverte de cicatrices.
Les médicaments de chimiothérapie ont fait durcir et gonfler une veine dans mon avant-bras gauche, qui n’est toujours pas revenue à la normale.
J’ai pris du poids. J’ai maigri. J’ai repris du poids.
Je vois les traces de ce que j’ai vécu chaque fois que je regarde mon corps. Ce sont comme des vestiges de chaque traitement. Ce rappel peut être difficile à accepter.
Malgré tout, j’ai travaillé fort au fil du temps pour retrouver mon corps et me le réapproprier après mon expérience avec le cancer. J’ai retrouvé la forme avec aplomb. J’ai travaillé à devenir plus consciente des défis que mon corps et moi-même devons maintenant relever et à mieux les accepter. Je dois dire que ce fut un dur périple.
Je n’avais jamais entretenu de très bons rapports avec mon corps jusqu’à ce qu’il me laisse tomber de la pire façon qui soit. J’avais toujours été critique envers moi-même, me trouvant « trop grosse » ou « pas assez bien », m’observant constamment dans le miroir et détestant ce que j’y voyais.
Le cancer est venu tout changer. J’ai dû cheminer pour apprendre à accepter mon corps pour ce qu’il est maintenant et ce qu’il peut faire. Avant, je le percevais comme un vaisseau qui me permet de naviguer dans la vie de tous les jours. Aujourd’hui, je suis constamment ébahie par les choses qu’il peut faire sans que je doive y réfléchir. Mon cœur pompe le sang qui y circule, mes poumons prennent de l’expansion et se contractent pour m’emplir de ma force vitale. Les différentes parties constituantes mon corps sont belles et fascinantes, et me gardent vivante chaque jour. C’est vraiment remarquable.
Un des plus grands jalons dans la réappropriation de mon corps après le cancer a été le tatouage post-mastectomie que j’ai reçu il y a un peu plus d’un an. J’ai pris la décision de me faire tatouer pour camoufler la plus grande cicatrice sur mon corps dès que j’ai su que je subirais une mastectomie pour retirer la tumeur. J’ai toutefois subi 10 chirurgies sur une période de 2 ans et demi. Avec chaque opération, la perspective de me faire tatouer devenait de plus en plus lointaine. Lorsque mon chirurgien m’en a finalement donné l’autorisation, j’ai pris rendez-vous le plus rapidement possible.
J’ai vu de multiples versions horribles des vestiges de mon cancer, et le tatouage était une façon pour moi de mettre un terme à toutes les larmes que la perte de mon sein m’avait fait verser. Le champ de bataille qui était resté après mon cancer s’est transformé en quelque chose de beau. Ce tatouage me donnait l’occasion d’assumer cette expérience et de reprendre le dessus sur mon corps.
La plume représente ma vie d’écrivaine, qui n’aurait pas connu le même essor sans mon expérience du cancer et le cheminement que j’ai entrepris pour aller de l’avant. Les mots que j’ai fait inscrire sous mon sein, « to live would be an awfully big adventure » (vivre serait une aventure grandiose), me rappellent que même dans les moments difficiles, et peu importe ce que la vie nous réserve, il faut rechercher l’aventure et la joie. Il y a toujours de l’espoir.
La réappropriation de mon corps se poursuit. C’est un cheminement plutôt qu’une destination. Ma poitrine arbore une œuvre d’art qui me fait chaque jour sentir vivante. Mon corps et moi ne sommes pas encore parfaitement réconciliés, mais au moins nous sommes maintenant sur la même longueur d’onde et non aux antipodes.